Le conservatisme pour les nuls

Le parti conservateur autrichien, dirigé par Sebastian Kurz, ayant remporté l’élection de ce dimanche, il y a fort à parier que les journalistes et les politiciens hexagonaux vont aborder le sujet du conservatisme. Et comme c’est une manie bien française que de parler doctement de ce que l’on ne connaît pas, je m’en voudrais de ne pas essayer de présenter ce que sont réellement le conservatisme et les conservateurs.

On lit trop souvent sous la plume d’imbéciles scribouillards que tel membre du parti socialiste serait conservateur, que des syndicats comme la CGT feraient également partie de la nébuleuse conservatrice. Bref, si on en croit ce qui est dit, presque tout le monde est conservateur, sauf bien évidemment les âmes éclairées qui font partie du camp du Bien.

Être conservateur ne saurait se résumer à la caricature qui est dessinée par des idéologues doctrinaires, à savoir un individu qui estime invariablement que « c’était mieux avant », qui refuse tout idée de progrès, En conséquence, j’ai fait appel à un des plus grands penseurs du conservatisme du XXème siècle, Russell Kirk, qui dans un article a défini les 10 principes qui fondent le conservatisme. Je prie mes lecteurs e bien vouloir excuser le style, mes qualités de traducteur sont limitées à ma pratique de la langue du grand Will :

Les 10 principes du conservatisme

1 – Premièrement, les conservateurs croient qu’il existe un ordre moral durable. Cet ordre est fait pour l’homme, et l’homme est fait pour lui, que la nature humaine est une constante, et que les vérités morales sont permanentes.

Ce mot « ordre » signifie harmonie. Il y a deux aspects ou types d’ordre : l’ordre intérieur de l’âme, et l’ordre extérieur de la société. Il y a vingt-cinq siècles, Platon enseignait cette doctrine, mais même les instruits d’aujourd’hui la trouvent difficile à comprendre. Le problème de l’ordre est une préoccupation majeure des conservateurs depuis que le conservatisme est entré dans le champ politique.

Notre monde depuis le XXe siècle a connu les conséquences hideuses de l’effondrement de la croyance en un ordre moral. Comme les atrocités et les désastres de la Grèce au cinquième siècle avant Jésus-Christ, la ruine des grandes nations de notre siècle nous montre le gouffre dans lequel se trouvent les sociétés qui confondent l’égoïsme intelligent, ou les ingénieux contrôles sociaux, pour des alternatives agréables à un ordre moral désuet.

Les intellectuels libéraux ont dit que le conservateur croit que toutes les questions sociales, au fond, sont des questions de moralité privée. Bien compris, cette affirmation est tout à fait vraie. Une société dans laquelle les hommes et les femmes sont gouvernés par la croyance en un ordre moral durable, par un sens aigu du bien et du mal, par des convictions personnelles au sujet de la justice et de l’honneur, sera une bonne société – quel que soit l’appareil politique qu’elle utilise ; tandis qu’une société dans laquelle les hommes et les femmes sont moralement à la dérive, ignorant les normes et animés par l’intention de satisfaire leurs appétits, sera une mauvaise société – peu importe le nombre d’électeurs et le caractère libéral de sa constitution.

2 – Le conservateur adhère à la coutume, à la convention et à la continuité. C’est la coutume qui permet aux gens de vivre ensemble pacifiquement ; les destructeurs de la coutume démolissent plus qu’ils ne savent ou ne veulent. C’est par le biais de la convention – un mot qui est aujourd’hui bien déconsidéré – que nous nous efforçons d’éviter les conflits perpétuels au sujet des droits et des devoirs : le droit à la base est un ensemble de conventions. La continuité est le moyen de lier les générations ; elle importe autant pour la société que pour l’individu ; sans elle, la vie n’ a pas de sens. Quand les révolutions ont réussi, elles effacent les vieilles coutumes, rabaissent les vieilles conventions et brisent la continuité des institutions sociales, pour ensuite découvrir la nécessité d’établir de nouvelles coutumes, conventions et continuité ; mais ce processus est douloureux et lent ; et le nouvel ordre social qui finit par émerger est souvent bien inférieur à l’ancien ordre que les radicaux ont renversé dans leur zèle pour établir le Paradis sur terre.

Les conservateurs sont les champions défenseurs de la coutume, des conventions et de la continuité parce qu’ils préfèrent le diable qu’ils connaissent au diable qu’ils ne connaissent pas. L’ordre, la justice et la liberté sont, selon eux, les produits artificiels d’une longue expérience sociale, le fruit de siècles d’épreuves, de réflexions et de sacrifices. Ainsi, le corps social est une sorte de corporation spirituelle, comparable à l’église ; on peut même l’appeler communauté des âmes. La société humaine n’est pas une machine qui peut être traitée mécaniquement. La continuité, le sang d’une société, ne doit pas être interrompu. Le rappel d’Edmund Burke sur la nécessité d’un changement prudent est présent dans l’esprit des conservateurs. Mais les conservateurs affirment que les changements nécessaires devraient être graduels et discriminatoires, et ne jamais aller à l’encontre ou défaire les vieux intérêts.

3 – Les conservateurs croient en ce qu’on pourrait appeler le principe de la prescription. Les conservateurs ont l’impression que les gens d’aujourd’hui sont des nains sur les épaules de géants, capables de voir plus loin que leurs ancêtres seulement à cause de la grande stature de ceux qui nous ont précédés dans le temps. C’est pourquoi les conservateurs insistent très souvent sur l’importance de la prescription, c’est-à-dire des choses établies par un usage immémorial, pour que l’esprit humain n’aille pas à contre-courant. Il existe des droits dont la principale sanction est leur antiquité – en ce compris le droit de propriété. De même, nos mœurs sont en grande partie normatives. Les conservateurs prétendent qu’il est peu probable, que nous les modernes, fassions de nouvelles découvertes en matière de morale, de politique ou de goût. Il est périlleux de soupeser chaque question d’actualité sur la base du jugement et de la rationalité privés. L’individu est fou, mais l’espèce est sage, déclarait Edmund Burke. En politique, nous nous devons de respecter les précédents, les préceptes et même les préjugés, parce qu’avec le temps l’espèce humaine a acquis et accumulé une sagesse prescriptive bien plus grande que la rationalité privée mesquine de n’importe quel homme.

4 – Les conservateurs sont guidés par le principe de prudence. Burke est d’accord avec Platon pour affirmer que pour l’homme d’État, la prudence est la première des vertus. Toute mesure publique doit être jugée en fonction de ses conséquences probables à long terme, et non pas simplement en fonction d’un avantage ou d’une popularité temporaire. Les libéraux et les radicaux, estime le conservateur, sont imprudents, car ils se précipitent vers leurs objectifs sans prêter beaucoup d’attention au risque de nouveaux abus pires que les maux qu’ils espèrent faire disparaître. Comme le disait John Randolph of Roanoke, « la Providence avance lentement, mais le diable se presse toujours ». La société humaine étant complexe, les remèdes ne peuvent pas être simples pour être efficaces. Le conservateur n’agit qu’après avoir suffisamment réfléchi, après avoir pesé les conséquences. Les réformes soudaines et radicales sont aussi périlleuses que les interventions chirurgicales soudaines et radicales.

5 – Les conservateurs font attention au principe de variété. Ils ressentent de l’affection pour la complexité des institutions sociales et des modes de vie établis de longue date, qui se distinguent de l’uniformité de plus en plus étroite et de l’égalitarisme des systèmes radicaux. Pour préserver une saine diversité dans toute civilisation, il faut qu’il y ait des ordres et des classes, des différences dans les conditions matérielles et de nombreuses inégalités. Les seules véritables formes d’égalité sont l’égalité devant le Jugement Dernier et l’égalité devant un tribunal juste ; toutes les autres tentatives de nivellement doivent conduire, au mieux, à la stagnation sociale. La société a besoin de dirigeants qui soient honnêtes et compétents ; et si les différences naturelles et institutionnelles sont détruites, un certain tyran ou une armée d’oligarques sordides créeront de nouvelles formes d’inégalité.

6 – Les conservateurs adhèrent au principe d’imperfectibilité et du châtiment qui en découle. La nature humaine souffre irrémédiablement de certaines fautes graves, les conservateurs le savent. L’homme étant imparfait, aucun ordre social parfait ne peut être créé. En raison de l’agitation humaine, l’humanité se révolterait sous n’importe quelle domination utopique, et se relèverait une fois de plus dans un mécontentement violent, ou bien expirerait d’ennui. Chercher l’utopie, ne peut que se terminer par un désastre, estiment les conservateurs : nous ne sommes pas faits pour des choses parfaites. Tout ce à quoi nous pouvons raisonnablement nous attendre, c’est une société tolérablement ordonnée, juste et libre, dans laquelle certains maux, certaines inadaptations et certaines souffrances continueront de planer. En accordant l’attention voulue à une réforme prudente, nous pouvons préserver et améliorer cet ordre tolérable. Mais si l’on néglige les anciennes sauvegardes institutionnelles et morales d’une nation, alors l’impulsion anarchique de l’humanité se libère : « la cérémonie de l’innocence est noyée ». Les idéologues qui promettent la perfection de l’homme et de la société ont converti une grande partie du monde du monde moderne en enfer terrestre.

7 – Les conservateurs sont persuadés que la liberté et la propriété sont étroitement liées. Séparez la propriété de la possession privée, et Léviathan devient maître de tous. Sur les fondations de la propriété privée, de grandes civilisations se sont construites. Plus la possession de la propriété est répandue, plus la propriété commune est stable et productive. Le nivellement économique, affirment les conservateurs, n’est pas un progrès économique. Obtenir et dépenser ne sont pas les buts principaux de l’existence humaine, mais une base économique saine pour la personne, la famille et la société.

Sir Henry Maine, dans son ouvrage « Villages communities of the east and west », plaide fortement en faveur de la propriété privée, qui se distingue de la propriété commune : « Personne n’est peut attaquer la liberté et la propriété privée et prétendre dans le même temps qu’il améliore la civilisation. L’histoire des deux est étroitement imbriquée et ne peut être démêlée. » La création de a propriété privée a été un instrument puissant pour enseigner aux hommes et aux femmes la responsabilité, pour motiver l’intégrité, pour soutenir la culture générale, pour élever l’humanité au-dessus du niveau de la simple corvée, pour permettre les loisirs, de penser et d’agir. Pouvoir conserver les fruits de son travail, voir son œuvre rendue permanente, pouvoir léguer ses biens à la postérité, pouvoir passer de l’état naturel de pauvreté écrasante à la sécurité d’un accomplissement durable, avoir quelque chose qui lui appartient vraiment, voilà autant d’avantages qu’il est difficile de nier. Le conservateur reconnaît que la possession de biens impose certaines obligations au possesseur ; il accepte ces obligations morales et légales avec joie.

8 – Les conservateurs soutiennent le principe de communauté volontaire, tout comme ils s’opposent au collectivisme involontaire. Bien que les hommes soient fortement attachés à la protection de la vie privée et aux droits privés, ils se forment également en peuples développant un esprit communautaire. Dans une véritable communauté, les décisions qui touchent le plus directement la vie des citoyens sont prises localement et volontairement. Certaines de ces fonctions sont exercées par des instances politiques locales, d’autres par des associations privées : tant qu’elles sont maintenues locales, et marquées par l’approbation générale des personnes concernées, elles constituent une communauté saine. Mais quand ces fonctions passent par défaut ou usurpation à l’autorité centralisée, alors la communauté est en grave danger. Tout ce qui est bénéfique et prudent dans la démocratie moderne est rendu possible grâce à la volonté coopérative. Si donc, au nom d’une démocratie abstraite, les fonctions de la communauté sont transférées à une direction politique distante, alors le vrai gouvernement par consentement des gouvernés cède la place à un processus normatif hostile à la liberté et à la dignité humaine.

Car une nation n’est pas plus forte que les nombreuses petites communautés qui la composent. Une administration centrale, ou un corps de gestionnaires et de fonctionnaires triés sur le volet, bien intentionnés et bien formés, ne peut pas conférer justice, prospérité et tranquillité à une masse d’hommes et de femmes privés de leurs anciennes responsabilités. Cette expérience a déjà été faite auparavant, et elle a été désastreuse. C’est l’accomplissement de nos devoirs en communauté qui nous enseigne la prudence, l’efficacité et la charité.

9 – Le conservateur perçoit la nécessité de restrictions prudentes sur le pouvoir et les passions humaines. Politiquement parlant, le pouvoir est la capacité de faire ce que l’on veut, peu importe la volonté de ses semblables. Un État dans lequel un individu ou un petit groupe est capable de dominer sans contrôle la volonté de ses semblables est un despotisme, qu’il soit monarchique, aristocratique ou démocratique. Quand chaque personne prétend être un pouvoir pour elle-même, alors la société tombe dans l’anarchie. L’anarchie ne dure jamais longtemps, elle est intolérable pour tout le monde, et contraire à l’inéluctable fait que certaines personnes sont plus fortes et plus intelligentes que leurs voisins. À l’anarchie succède la tyrannie ou l’oligarchie, dans laquelle le pouvoir est monopolisé par un très petit nombre.

Le conservateur s’efforce de limiter et d’équilibrer le pouvoir politique au point de ne pas provoquer l’anarchie ou la tyrannie. À tous les époques, cependant, les hommes et les femmes sont tentés de renverser les limites du pouvoir, au nom d’un avantage temporaire imaginaire. La caractéristique du radical est qu’il pense le pouvoir comme une force pour faire le bien, enfin tant que le pouvoir tombe et reste entre ses mains. Au nom de la liberté, les révolutionnaires français et russes ont aboli les anciennes restrictions du pouvoir, mais ont œuvré pour que celui-ci ne puisse aboli. Ce pouvoir que les révolutionnaires avaient cru oppressif aux mains de l’ancien régime devint maintes fois aussi tyrannique aux mains des nouveaux maîtres radicaux de l’État.

Connaissant la nature humaine pour ce qu’il est, à savoir un mélange de bien et de mal, le conservateur ne fait pas confiance à la simple bienveillance. Les restrictions constitutionnelles, les freins et contrepoids politiques, l’application adéquate des lois, l’ancien réseau complexe de restrictions sur la volonté et l’appétit, les conservateurs les approuvent en ce qu’ils sont des instruments de liberté et d’ordre. Un gouvernement juste maintient une saine tension entre les prétentions d’autorité et les prétentions de liberté.

10 – Le conservateur comprend que la permanence et le changement doivent être reconnus et réconciliés dans une société vigoureuse. Le conservateur n’est pas opposé à l’amélioration sociale, bien qu’il doute qu’il existe une force de Progrès, mystique, avec un P majuscule, à l’œuvre dans le monde. Lorsqu’une société progresse à certains égards, elle est généralement en déclin à d’autres égards. Le conservateur sait que toute société saine est influencée par deux forces, que Samuel Taylor Coleridge appelait « sa Permanence et sa Progression ». La Permanence d’une société est formée par les intérêts et les convictions durables qui nous donnent stabilité et continuité ; sans cette Permanence, les fontaines qui irriguent les fondamentaux de chaque peuple se tarissent, la société glisse alors dans l’anarchie. La Progression dans une société, c’est cet esprit et ce corpus de talents qui nous poussent à une réforme et à une amélioration prudentes ; sans cette Progression, un peuple stagne.

C’est pourquoi le conservateur intelligent s’efforce de concilier les revendications de la Permanence et celles de la Progression. Il pense que le libéral et le radical, aveugles aux justes prétentions de la Permanence, mettraient en danger l’héritage qui nous a été légué, dans une tentative de nous amener dans un Paradis terrestre douteux. Le conservateur, en somme, privilégie le progrès raisonné et tempéré ; il s’oppose au culte du Progrès, les individus croyant que tout ce qui est nouveau est nécessairement supérieur à tout ce qui est vieux.

Le changement est essentiel pour le corps social, tout comme il est essentiel pour le corps humain. Un corps qui a cessé de se renouveler a commencé à mourir. Mais pour que ce corps soit vigoureux, le changement doit se produire de façon régulière, en harmonie avec la forme et la nature de ce corps ; sinon, le changement produit une croissance monstrueuse, un cancer qui dévore son hôte. Le conservateur veille à ce que rien dans une société ne soit jamais complètement vieux, et que rien ne soit jamais entièrement nouveau. C’est le moyen de conservation d’une nation, tout comme c’est le moyen de conservation d’un organisme vivant. Le degré de changement dont une société a besoin, et le type de changement dont elle a besoin, dépendent des circonstances d’une époque et d’une nation.

4 réflexions sur “Le conservatisme pour les nuls

    • Ce qui me fiche en rogne, c’est la méconnaissance crasse du conservatisme, quel que soit le type d’individu appartenant à la classe jacassante. Pourtant, c’est à la portée du premier gazier venu que d’ouvrir un livre de Burke par exemple.

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  1. Il y a la même mise à toutes les sauces pour les mots « fascisme » et « fasciste ».
    La caste jacassante jacasse, sans prendre la peine de se renseigner.

    Les Royalistes ont perdu un ami, Blh est décédé 😦
    C’était le mien aussi.
    RIP , que Dieu ait son âme.

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